Il en va des idées comme des fruits exotiques, il faut parfois y goûter pour découvrir leurs vertus inattendues.
Il en va ainsi également, à mes yeux tout au moins, quand on aborde le thème des CPAS et de leur relation filiale avec la Ville ou la commune.
Beaucoup savent que dès janvier 2013, les villes de plus de 30.000 habitants verront leur Collège Communal réduit d’une unité. Passons sur la logique qui pourrait faire croire, via cette mesure, que c’est dans ces villes et communes qu’il y a le moins de travail pour un pouvoir exécutif, et penchons-nous un instant sur le grand dessein – déjà réalisé dans certaines villes et communes – de « rapprocher » le CPAS et l’échevinat des Affaires Sociales pour en faire un seul et grand ensemble…
A priori, il faut avouer que cette mesure a toutes les apparences de la logique implacable. Et pourtant…
Prenons le cas de notre bonne Ville de Liège… Son CPAS pèse 140 millions d’euros pour un personnel qui, Article 60&7 compris, compte plus de 1100 travailleurs. Il gère la grande détresse, les situations les plus difficiles, et ses agents se doivent de connaître autant que faire se peut une vaste panoplie de lois qui va de la loi organique des CPAS en passant par celle sur les pensions ou sur les lois sociales en général, pour ne prendre que quelques exemples. Il est contraint à une vitesse de réaction que ne connaît aucun autre service, soit décider en 30 jours (ce qui parfois d’ailleurs se révèle être la quadrature du cercle). Son Conseil de l’Action Sociale, président en tête, est présent sans fléchir dans une multitude de situations complexes, et cette tâche nécessite un temps plus que plein qui se développe sur des multiples terrains.
Il est singulier d’ailleurs de constater à l’inverse à quel point le travail du CPAS est méconnu, ce qui ne manque pas de relever d’une injustice flagrante. Bien souvent le discours qui le concerne se limite au calcul des euros et des centimes pour conclure inévitablement sur le thème du coût excessif, voire de la mauvaise gestion. Or rares sont ceux qui viennent voir de visu avec quelle qualité et quel sérieux tout ce travail se réalise. Avec quelles difficultés humaines aussi…
Cette détresse humaine n’est pas traitée par l‘échevinat des Affaires Sociales, dont l’importance n’échappe à personne, mais dont le domaine d’activité s’adresse plutôt à des citoyens qui ont besoin d’un appui ou d’un Service Social Communal, mais QUI NE SONT PAS dans la détresse évoquée plus haut. Service Social Communal, crèches, aide aux personnes Handicapées (hors AWIPH et « Vierge Noire » bien entendu), ne relèvent pas de la même nature et il ne convient pas à mes yeux de mélanger les deux problématiques.
Notre propos ici n’est pas de nier que des restructurations internes soient nécessaires entre ces deux ces deux instances. Car au cours du temps, une confusion a pu s’installer entre les missions des uns et des autres (J’évoque ici par exemple tout ce qui relève de l’action sociale. Celle-ci doit impérativement relever du CPAS dont c’est la mission légale), mais par ailleurs il nous faut également travailler aux synergies que nous croyons indispensables, de manière plus générale, entre certains services généraux de la Ville et du CPAS, tout en plaidant pour plus de cohérence interne.
Si l’on analyse l’importance pour une cité comme Liège d’un poste tel que celui de président de CPAS, faut-il alors compliquer plus qu’aujourd’hui la tâche de ce dernier, alors que cela va le distraire de sa mission principale, qui est bien d’être le symbole du dernier filet de protection sociale ?
Alors, quoi ? N’y-t-il pas plus efficace, même si moins évident au premier regard ?
Je plaide pour ma part pour que l’on réfléchisse à un regroupement (puisqu’il en faut un), entre par exemple l’échevinat de la Jeunesse et des Sports et ce fameux échevinat des affaires sociales. Et que l’on repense globalement l’aide sociale en restructurant les différents services.
Tout d’abord parce si l’on analyse les chiffres, on constate que le CPAS prend déjà en charge, lui, un nombre considérable de jeunes entre 18 et 30 ans (un tiers du total des ayants droits). Mais qu’il s’agit d’une population très fragilisée ne nécessitant pas une prise en charge très spécifique et spécialisée, qu’il ne faut pas confondre avec ceux qui connaissent une difficulté passagère.
Ensuite parce que chaque jeune qui a des difficultés ne relevant pas de la perte de tous ses droits, mérite lui aussi une prise en charge lui donnant des chances d’avancer dans la vie de manière positive..
N’est-il pas plus efficace dans ce cas de donner à l’échevin de la jeunesse cet outil social communal qui, via les compétences et les budgets qui sont les siens (le sport entre autres), lui permettra de donner le coup de pouce nécessaire au jeune envisagé, sans passer par la case si délicate du CPAS ?
Soyons dès lors créatifs, ne mélangeons pas tous nos œufs et tentons de donner à notre action la plus grande pertinence possible pour le citoyen. Ne confondons pas le juste besoin de synergies entre la commune et son CPAS avec l’abandon de priorités telles que la lutte contre la pauvreté, quittons l’obsession budgétaire pour la justice sociale.
Et si nous tentions de penser autrement. D’agiter ce fameux bocal aux idées et de nous laisser aller à rêver à d’autres possibles. Et si la suppression d’un échevinat devenait alors une formidable opportunité d’améliorer l’organisation et l’efficacité de nos actions de proximité, au profit du bien-être de nos concitoyens ?
Claude EMONTS
Président du CPAS de Liège.
Président de la Fédération des CPAS de Wallonie.