Le 11 mai dernier, la Ligue des Droits de l'Homme publiait un communiqué de presse décriant une nouvelle mesure prise par l'autorité communale face à la mendicité multi-récidiviste (voir http://www.liguedh.be/espace-presse/123-communiques-de-presse-2012/1469-mendier--lenfer-du-decor).
J'ai souhaité répondre à la LDH car j'ai trouvé que les propos de ses responsables tendait à faire croire que Liège ne se soucie pas de ses "petits".
Voici ma réponse.
Claude.
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Monsieur,
Permettez-moi de réagir à votre communiqué de presse du 11 mai dernier intitulé « Mendier : l’enfer du décor ».
Si, tout comme vous, je suis un ardent défenseur de la nécessité, que dis-je de l’obligation, d’œuvrer au quotidien à rendre notre société plus solidaire, je souhaiterais en effet quelque peu nuancer vos propos sur votre lien rapide entre mendicité et précarité.
Tous les gens dans la précarité ne mendient pas. Et tous les mendiants ne sont pas sans revenus.
Ce phénomène est bien plus complexe.
Il me faut vous faire entendre que la mesure prise par la Ville concerne des personnes pour lesquelles mendier n’est plus synonyme de dignité, d'une part, de celle qui sont en infraction avec le règlement communal pour la troisème fois d'autre part.
La mesure qui sera prise par la Police de Liège ne s’appliquera ni aux mendiants qui respectent le plan de rotation par quartiers inscrit dans le Règlement communal ni aux mendiants occasionnels qui ne connaîtraient pas encore ledit règlement.
La mesure prévoit une progression dans la sanction.
En effet, la première fois qu’un individu sera pris en défaut, il lui sera rappelé le passage du Règlement communal concerné et demandé de ne pas réitérer ce type d’infraction.
Après une récidive, il sera conduit (comme c’est déjà le cas) vers le service de l’Urgence sociale du CPAS de Liège pour que nous puissions nous assurer qu’il a bien fait valoir ses droits à l’intégration sociale.
La mesure plus coercitive de mise en cachot (ne pouvant pas dépasser 12 heures) concernera donc les des personnes qui auront récidivé au minimum deux fois.
Nous devons malheureusement observer que, sur notre territoire communal, une trentaine d’individus (estimation de la Police de Liège) se sont installés dans une dynamique de transgression chronique de l’ordre public.
Nos travailleurs sociaux de terrain les connaissent tous. Il leur a été maintes et maintes fois proposé des aides ou des soutiens pour leur permettre de s’insérer dignement. Mais ceux-ci ne se montrent pas compliants, ils ne souhaitent pas entrer dans un processus d’insertion ou dans une dynamique de prise en charge médicale.
Notre analyse nous mène à penser que la majorité d’entre eux souffrent de pathologies mentales. Selon le diagnostic des pathologies mentales (DSM), les assuétudes constituent déjà des pathologies mentales. Les 30 personnes que j’ai évoquées plus haut souffrent, entre autres, d’assuétudes diverses.
Depuis l’abrogation de la Loi contre le vagabondage et la mendicité en 1993, le mendiant et le vagabond sont vus, non plus comme des délinquants, mais comme des personnes dans le besoin que le service public doit contribuer à aider. En tant que progressiste, je ne peux que me réjouir, comme vous, de cette avancée humaine.
Toutefois, après près de 20 ans de pratique, l’abrogation de cette Loi montre certaines limites par rapport à quelques cas individuels particulièrement compliqués.
Il n’est plus possible à l’autorité locale d’éloigner les personnes qui perturbent l’ordre public de manière répétée.
Pouvons-nous encore parler de dignité dans la mendicité lorsque l’on sait que la plupart de ces multi-récidivistes bénéficient de revenus et mendient pour se procurer leur ration quotidienne de stupéfiants ?
Nous ne parlons plus ici de dignité mais de responsabilité publique dans la prise en charge de la quiétude collective et de questionnement quant à l’extrême rigidité de la Loi de protection des personnes souffrant de maladie mentale.
Lorsqu’une personne n’a plus un comportement digne ni pour son corps, ni pour son entourage, ni pour la société qui l’entoure…
… lorsqu’il lui a été proposé à de multiples reprises des possibilités d’accrocher le train de différentes manières (RIS, logement, soins de santé,…) et qu’aucune de ces propositions n’a fait mouche…
… n’est-il pas au minimum de notre devoir de tenter quelque chose pour la convaincre de faire une pause afin d’évaluer avec elle si elle n’a pas réellement besoin d’une prise en charge médicale dans un premier temps, et sociale dans un second ?
Le Bourgmestre, autant que le Collège, la police liégeoise ou moi-même et le Conseil de l'Action Sociale allons mettre en place une réflexion avec les centres hospitaliers psychiatriques et les acteurs de la prise en charge psychiatrique sur le milieu de vie pour étudier cette question.
Nous ne manquerons pas d’informer les liégeoises et les liégeois sur les avancées de cette réflexion.
En guise de conclusion, je vous dirai: la gouvernance locale nécessite la prise en compte des intérêts, souvent divergents, de nombreux citoyens. Nous sommes avant tout partisans de la mise en place d’actions préventives et sociales d’insertion des personnes en difficulté. Il suffit de voir le nombre et la qualité des actions développées sur Liège pour s’en convaincre. Et ces initiatives fonctionnent. Sur les 9.000 personnes aidées par le CPAS (en dossiers actifs, toutes aides confondues), nous ne parlons ici que d'environ 30 individus concernés par leur caractère multi-récidiviste ! Mais, quand nos actions préventives et sociales ne permettent plus de faire face à des situations humaines à ce point désagrégées, il faut adopter un point de vue responsable et chercher à agir autrement, dans l’intérêt de la personne (même si elle n’est plus en mesure de s’en rendre compte), et de celui de la collectivité.
Merci à vous pour votre vigilance citoyenne ainsi que pour la prise en considération de ma réponse.
Bien à vous,
Claude EMONTS
Commentaire reçu par e-mail de la Ligue des Droits de l'Homme:
RépondreSupprimerMonsieur le Président du CPAS,
Merci pour cette réaction constructive et argumentée à notre communiqué de presse du 11 mai dernier.
Notre association est consciente que le problème de la mendicité est complexe et que la recherche des réponses appropriées l’est tout autant. La Ligue des droits de l’Homme a cependant jugé nécessaire de mettre en lumière, à l’occasion de le publication, le 9 mai, d’un article dans le quotidien Le Soir consacré aux mesures prises dans votre Ville, son constat d’une inquiétante généralisation de politiques, souvent cosmétiques, visant à faire disparaître de l’espace public les traces visibles et dérangeantes de la pauvreté.
Il apparaît à la lecture de votre courriel que nos positions se rejoignent au moins sur l’essentiel : une approche policière ne peut résoudre un problème à caractère social. Dans ce contexte, la LDH ne peut que se réjouir et soutenir le travail de terrain mené par les travailleurs sociaux mis en place pour tenter de tenter de résoudre, de manière concrète, la situation des personnes en état de vulnérabilité. Les toxicomanes qui mendient font, à nos yeux, partie de cette catégorie même si, pour certains d’entre eux, ce choix d’existence semble assumé. Et ce choix doit aussi être respecté, tant que cette personne ne met pas sa vie – et celle des autres – en danger. Et si les intentions et initiatives de resocialisation de la Ville de Liège sont louables, ce choix de vie, même s’il peut déplaire ou choquer, ne constitue pas en soi un trouble de l’ordre public.
Et en ce sens, hors la commission d’un acte répréhensible, toute arrestation administrative, même graduée, nous semble être arbitraire.
Les réalités du terrain et les difficultés rencontrées sur ce terrain ne peuvent être résolues sur le dos des droits fondamentaux de ces personnes vulnérables.
La LDH rappelle par ailleurs que la toxicomanie n’est pas une maladie mentale et que, dans ce contexte, la collocation de ces personnes, telle qu’envisagée, ne constitue pas une réponse adéquate (et encore moins légale).
Le fait que les acteurs communaux aient entamé une réflexion avec les acteurs de la santé mentale constitue néanmoins une initiative positive, une preuve tangible de la volonté de dépasser une réponse strictement sécuritaire. Mais dans ce contexte – ni la mendicité ni la toxicomanie ne sont des maladies mentales -, un élargissement de la réflexion au secteur de la santé, ou toute autre institution qui pourraient aider ces personnes à améliorer leur condition de vie. Car in fine c’est bien de qualité de vie – et du choix du mode de vie qui la fonde – qu’il s’agit.
Si la prise en charge de la quiétude publique est de la responsabilité des pouvoirs locaux, les mesures poursuivant cet objectif doivent se faire dans le respect des lois, toutes rigides soient-elles, et des droits fondamentaux. Et il est de la responsabilité et du mandat de la Ligue des droits de l’Homme de veiller au respect de ces droits et d’interroger les mesures qui lui semblent ne pas aller dans ce sens.
Ces deux nobles missions sont loin d’être incompatibles – bien au contraire - mais elles sont, en effet complexes à mettre en oeuvre.
Dans ce contexte, la LDH est persuadée, au vu de la volonté progressiste qui semble animer les gestionnaires de ce dossier, que ces derniers oeuvreront à mettre en place des mesures respectueuses des libertés individuelles.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos salutations citoyennes.
Ligue des droits de l'Homme asbl
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