Objet : Réplique aux propos de Ben Weyts
sur la politique d’activation des bénéficiaires du RIS en Wallonie[1]
« Monsieur WUYTS, je suis fatigué ! »
Depuis de nombreux mois, nous entendons parler de réformes de l’Etat et de transferts de compétences.
De temps à autre, un article vient alimenter le débat sur la pauvreté, parfois même écrit par des gens qui connaissent la pauvreté, pour la côtoyer, la combattre ou encore pour en être victimes…
Mais aussi, beaucoup plus souvent, pour critiquer les politiques qui sont menées en Wallonie et en accabler surtout le parti auquel j’appartiens : le PS. Qui, bien sûr, gouverne seul.
Il n’est bien sûr pas question ici de bénir tel acteur (pour un laïque, ce serait d’ailleurs assez bizarre…), ni d’exonérer tel ou tel parti ou intervenant de toute erreur ou manquements éventuels.
Mais que de contrevérités ne suis-je pas obligé d’entendre de la part de personnes qui n’ont jamais vu un CPAS qu’au travers des articles de presse, et ne se sont jamais donné la peine de descendre, fut-ce pour s’en donner l’illusion, dans l’arène…
Cette réflexion est vraie, tant pour beaucoup de politiques fédéraux, que pour leurs collègues régionaux et, j’ose le dire, pour une majorité de communaux.
Règne en matière de CPAS, une vaste méconnaissance et, comment ne pas aller jusqu’à dire, de nombreux fantasmes.
Ainsi les CPAS seraient des dépensiers irresponsables qui mettraient en péril les finances communales et, au-delà, celles de l’Etat lui-même. Ils jouiraient de leur autonomie pour gaspiller le bien commun sans contrôle. Et c’est l’horreur suprême, quand un Ministre Wallon veut alléger cette tutelle (le contrôle) de la commune sur le CPAS, qui alourdit inutilement le travail et empêche les agents de faire autre chose.
S’élève alors violemment le bruit des coulisses…
Et pourtant, il y en a des choses à voir dans les CPAS. Au premier coup d’œil, entrant dans la salle d’attente du bâtiment central, c’est une impression de cour des miracles qui prévaut… Et si la presse intervient, le plus souvent d’ailleurs elle s’arrête au célèbre marronnier.
Mais les CPAS sont en fait des acteurs largement de l’ombre, qui accomplissent un travail gigantesque de lutte contre cette pauvreté qui nous colle à la peau, et rares sont les moments où ce travail est reconnu. Car la pauvreté, la vraie, ne fait guère de bruit et est parfaitement invisible, comme l’est souvent le CPAS lui-même d’ailleurs
Car, même dans les cérémonies officielles (et c’est loin d’être le plus important), ils ne sont jamais cités, oubliés qu’ils sont sur leur île. Pendant que l’énergie, la médiation de dette, la pauvreté infantile, l’absence de travail, la maladie mentale, l’illettrisme, la mendicité, la honte, remplissent nos journées et envahissent nos âmes.
Mais oubliés, ils le sont aussi lorsque s’écrivent les plus belles pages de la réforme de l’Etat. Déjà, on avait littéralement refilé les exclus et les sanctionnés du chômage aux CPAS dans un geste magique ou l’entourloupe majeure était la non correspondance des budgets transférés et des sommes futures à dépenser, rendues pourtant inévitables par le fait même de ces transferts.
Et voici que soudain s’abat sur nous une autre suspicion, plus lourde encore : nous ne serions pas efficaces dans notre politique d’activation, Monsieur Weyts.
Que l’on nous comprenne bien : si par inefficace, « on » veut dire que nous n’excluons pas à tour de bras les gens qui ne trouvent pas de travail parce qu’il n’y en a pas, alors nous oui, nous sommes inefficaces ET d’ailleurs socialistes. Pour l’anecdote, puis-je vous rappeler que de nombreux CPAS wallons sont gérés par d’autres partis que le PS ?
Que l’on nous comprenne bien : si par inefficace, « on » veut dire que nous n’excluons pas à tour de bras les gens qui ne trouvent pas de travail parce qu’il n’y en a pas, alors nous oui, nous sommes inefficaces ET d’ailleurs socialistes. Pour l’anecdote, puis-je vous rappeler que de nombreux CPAS wallons sont gérés par d’autres partis que le PS ?
Pour le reste, que l’on vienne voir comment nous travaillons. Remettre au travail, passe d’abord par un budget. Autrefois, on disait « Pas d’argent, pas de Suisses ». Aujourd’hui, on dit « Pas de bras, pas de chocolat ». ET au CPAS, on dit hélas « à budget limité , réinsertion limitée ».
Car de quoi un président se désole-t-il le plus ? De voir devant lui une personne désespérée, parfois en larmes, demander du travail en s’entendant dire « Vous savez, mon budget est épuisé ».
Or, et seulement à Liège, nous réinsérons plus de 500 personnes par an, tout en ayant des files de milliers d’autres qui attendent ou qui se forment en espérant que….
En espérant que l’insertion des plus éloignés de l’emploi soit prise en compte BUDGETAIREMENT, notamment par tous ceux qui parlent sans rien faire ou en regardant ailleurs.
Voilà pourquoi, au crépuscule de mon parcours politique, je suis fatigué d’entendre des choses qui ne correspondent à rien, ou à pas grand-chose c'est-à-dire des arguties politiciennes. Je suis las d’entendre des bruits qui disent que la réinsertion des plus démunis passerait peut-être bientôt des CPAS au FOREM (qui fait certes très bien son boulot, mais ne possède pas le savoir-faire spécifique pour ce type de public), d’entendre parler de synergies, voire de fusion avec les communes, sans que pas grand monde ne semble prendre en compte ce que nous faisons aujourd’hui et qui est une réelle plus-value dans une société solidaire.
Mais… Sommes-nous encore dans une société solidaire ? Oui bien sûr, à ce jour. Mais si certains réussissent à mettre en pratiques leurs idées « révolutionnaires, séparatrices et ultra-libérales », je crains que le cauchemar que j’ai fait récemment, où le gouvernement belge faisait fi de cette si précieuse solidarité et n’en gardait que le mot, pour nous voir glisser vers une réalité à la « Detroit », avec ses quartiers abandonnés, ses délinquants sans contrôle, son égoïsme ulcérant vis-à-vis des plus faibles, des malades, des handicapés, des gens de couleur et même des anciens sans fortune ??? Je crains alors que ce cauchemar ne devienne, lentement, imperceptiblement, notre réalité. En fait, la Grèce n’est pas si loin.
Oui, je suis fatigué de crier dans le désert, d’avoir l’impression de dire sans cesse la même chose : « Attention, demain la rue peut aussi dire « non », comme le chante si bien le groupe Eiffel.
Claude EMONTS
Président du CPAS de Liège
Président du CPAS de Liège
Juillet 2013.
Nota bene : Hier, Monsieur Weyts affirmait, je cite : « Le PS fait en sorte que les bénéficiaires du revenu minimum obtiennent leur argent tant qu'ils continuent à voter rouge. Après, on les laisse livrés à leur sort. ». Cela voudrait dire que dans les CPAS wallons dans lesquels le PS est dans la majorité connaissent immanquablement une augmentation phénoménale du nombre de dossiers de RIS et mènent un médiocre travail d’insertion.
Voici les chiffres de Liège concernant les mêmes années que celles prises en considération par M. Weyts, à savoir de 2008 à 2011 :
- Nombre de RIS : 6798 en 2008 pour 6931 en 2011, soit une croissance limitée à 1,95 %, ce qui correspond à l’augmentation de 2% de la population globale de Liège, sur la même période ;
- Nombre de RIS pour la tranche 18-24 ans : 2922 en 2008 pour 2676 en 2011, soit une diminution de 246 unités, soit 8.4% de diminution.
- Nombre de mises à l’emploi : 738 en 2008 pour 878 en 2011, soit une augmentation de 19%.
Pauvre Monsieur Weyts.
[1] http://www.levif.be/info/actualite/belgique/ben-weyts-la-wallonie-subit-les-consequences-de-l-irresponsabilite-du-ps/article-4000361401002.htm; http://www.nieuwsblad.be/article/detail.aspx?articleid=dmf20130728_00673099; http://www.lesoir.be/289599/article/actualite/belgique/politiclub/2013-07-28/majorite-des-beneficiaires-du-revenu-d-integration-sociale-vit-en-wallon.